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Avons nous une âme soeur

AmesoeurSpécialiste du couple et des problématiques amoureuses, il me semblait connaître tous les rouages des unions et désunions qui constituent l’essentiel de nos joies et de nos peines. De par mon vécu, il me semblait également avoir expérimenté une bonne partie des divers sentiments d’amour, des plus clairs aux plus sombres. Et puis, il y a quelques années j’ai fait une rencontre incroyable, une rencontre qui allait changer ma vie, ma façon de penser, de travailler et d’être au monde.
J’ai croisé la route d’un homme qui a provoqué chez moi un tourment mêlé d’une joie indescriptible. Dès les premières secondes où je l’ai vu, j’ai senti qu’il se passait quelque chose qui allait bien au-delà du sentiment amoureux, sans pouvoir identifier ce dont il s’agissait. Non seulement il me semblait l’avoir toujours connu, mais sa seule présence élargissait mon âme d’une étrange façon. La résonance vibratoire de notre union fut si forte que je crus perdre la raison.

Notre compréhension mutuelle n’avait pas besoin de mots, de gestes ou de regards, et dans chacune de nos entrevues flottait un air de perfection absolue, car nous étions à la fois si semblables et si complémentaires.
Je n’étais plus seule, j’avais trouvé sur cette planète quelqu’un qui épousait mon esprit d’une façon extraordinaire et que je devinais de façon plus extraordinaire encore. Car des phénomènes inexpliqués jalonnèrent notre brève relation, comme le fait de connaître son appartement avant même d’y être allée, ou de savoir exactement où il se trouvait sans autre lien que la pensée. Cela acheva de me désorienter.

Je me souviens d’un moment particulièrement magique où nous sommes restés assis face à face dans un jardin, sans dire un mot pendant plus d’une heure. Et pourtant nous dialoguions. Mon esprit déambulait sur la musique, mes compositeurs préférés, et je recevais ses remarques comme il percevait les miennes. Lorsque nous nous sommes levés, nos paroles ont poursuivi cet incroyable échange au point même où nous l’avions laissé. « Comme je te l’ai dit, je ne crois pas que Bach… » Cette phrase m’est restée, car au moment où je l’ai prononcée nos yeux se sont croisés avec effroi. Ces manifestations étaient souvent trop étranges pour ne nous procurer que de la joie.
Il est difficile de décrire avec des mots ce que je vécus à ce moment-là, et j’ai compris depuis que seuls ceux qui ont eu la chance ou la malchance de vivre cette unicité parfaite peuvent saisir vraiment ce dont il s’agit. Car bien sûr, nous rencontrons dans notre vie des personnes avec lesquelles nous avons de fortes affinités, amis, amours, relations professionnelles. Mais ce que j’évoque ici se situe bien au-delà, au-delà d’une quelconque attirance physique ou intellectuelle, au-delà des mécanismes d’attachement habituels.
 

Une nouvelle compréhension

Chance ou malchance en effet, car le départ définitif de cet homme pour un autre hémisphère me plongea dans un tourment infini. Si notre relation très particulière n’aurait jamais pu s’inscrire dans un quotidien, comment néanmoins allais-je désormais pouvoir vivre ce même quotidien sans lui ? Je sentis que ma seule échappatoire résiderait dans une tentative de compréhension de ce que j’avais ressenti. La psychologie et la psychanalyse montrèrent vite leurs limites en la matière… Relation « cristallisée », deuil pathologique, projection fantasmatique idéalisée, je connaissais ces gammes par coeur, mais elles étaient loin de donner une explication plausible à ce que j’avais vécu. Et puis surtout, si j’avais de la peine, je ne me sentais pas malade pour autant. Bien au contraire, cette relation avait incroyablement et définitivement accru mes capacités musicales, rédactionnelles, intellectuelles, mais aussi plus globalement de perception du monde, et des sentiments qui nous animent tous, qui nous relient en permanence. Ma façon de jouer du piano par exemple s’est complètement modifiée. Encore aujourd’hui, je compose, je duplique avec une facilité que je n’avais jamais connue par le passé. La littérature m’offrit quelques réponses. Je relus par exemple Belle du Seigneur d’Albert Cohen avec une vision différente. Puis la philosophie, la connaissance des religions m’ouvrirent d’autres champs. Mais c’est plus largement dans des textes spirituels tels que ceux d’Edgar Cayce que je trouvai enfin un début de sens. La description qu’il pouvait faire des couples, des « flammes jumelles » comme il les nommait, fut un soulagement. Sur ces chemins de traverse que je n’aurais jamais cru emprunter un jour, une évidence se dressa : l’âme soeur existe, mais la vision romantique que nous prêtons à ce concept est complètement erronée.

C’est une vision développée par nombre de sites de rencontres, qui proposent ce slogan publicitaire aguicheur : « Trouvez votre âme sœur »… Termes galvaudés pour définir quelqu’un qui pourrait vous correspondre en tous points, termes que j’ai si souvent utilisés moi-même sans savoir de quoi je parlais. L’idée est romantique, il faut bien l’avouer, l’idée est belle. Une âme, une personne avec laquelle l’entente serait parfaite. Et voilà qu’en la trouvant nous serions amoureusement comblés, heureux, apaisés enfin. C’est d’ailleurs plus qu’une idée : ce concept appartient à notre inconscient collectif. Socrate mentionnait cette unité parfaite dans Le Banquet de Platon, et beaucoup de religions en font clairement état. Bouddhisme, judaïsme, la traduction même des Écritures l’évoque à mi-mot. La femme n’aurait pas été créée avec une « côte » de l’homme, mais un côté, une moitié. Cette croyance est pratiquement toujours réactivée lorsque survient un état amoureux. La magie qui opère entre deux êtres qui choisissent de s’aimer s’accompagne souvent de pensées spirituelles, de l’idée que l’on se serait enfin trouvé, que le destin s’en serait mêlé, que l’on serait « fait l’un pour l’autre ». La sexualité nous amène d’ailleurs à retrouver cette unité, à ne former qu’un par la fusion des corps.
Et puis l’état amoureux s’estompe. L’autre n’est pas celui que l’on croyait, il est différent, de nous, de nos projections fantasmatiques, et il nous faudra composer avec ces différences souvent riches, mais parfois incompréhensibles, sources infinies de la souffrance de nombreux couples. Après la fusion teintée d’idéal vient la réalité de deux êtres bien distincts qui décident de s’unir dans un quotidien qui n’appelle pas toujours l’évidence. Alors on se résigne : « L’âme soeur n’existe pas. »
Une perception radicalement différente – et qui n’engage que moi –, me permet aujourd’hui de vivre et de travailler différemment, et je l’espère, mieux. Je pars d’un postulat spirituel auquel tout le monde n’adhère pas : notre âme vit indépendamment de notre corps, et se réincarne plusieurs fois. Dans ces différentes incarnations, elle croisera d’autres âmes qu’elle connaît déjà mais qui auront joué des rôles différents. Notre vision amoureuse par exemple est très terrestre et très limitée, l’amour doit avoir « ailleurs » un aspect bien plus large, un fils dans cette vie-là aura pu être un mari dans une autre. Peu importe, les « familles d’âmes » se recomposent au gré de leurs incarnations. Mais nous n’avons qu’une âme soeur, une seule, j’en suis persuadée. Sans doute la cherchons-nous sans cesse dans notre vie, consciemment ou inconsciemment, et parfois nous la trouvons : c’est un ami, c’est une soeur, c’est un fils, c’est un amant, c’est lui, c’est elle, au-delà des corps.

Une énergie libérée

Pendant quatre ans, j’ai participé à une émission quotidienne de témoignages sur France 2, où j’intervenais principalement sur les problématiques amoureuses. J’y ai vu et entendu plus de 2 500 personnes. Peu à peu, j’ai su discerner celles qui s’étaient trouvées… Les mots étaient inutiles, et les grandes déclarations n’y changeaient rien. Avant même qu’elles ne commencent à parler se dégageait d’elles une sorte d’énergie peu commune.
Ce couple de septuagénaires veufs dont la rencontre remontait à deux ans à peine, se ressemblant en tous points, mus par une compréhension mutuelle hermétique aux autres. Ces deux amies séparées maintes fois mais se retrouvant toujours par le truchement du hasard, et qui avaient fini par partager le même domicile, « car lorsque nous sommes ensemble, nous n’avons besoin de personne d’autre, vous savez ? » Oui, maintenant je savais.
Et puis, je rencontrais aussi beaucoup d’âmes déboussolées, tourmentées comme j’avais pu l’être, que personne ne semblait comprendre. Elles avaient trouvé leur soeur, mais elles ne partageraient pas cette vie-là et elles en étaient malades, au sens propre comme au figuré : cancer, dépression, errances diverses. Je me souviens de cette femme, Marie, la quarantaine, maman de deux enfants, luttant contre une longue maladie, parlant de l’homme qu’elle avait aimé et qui l’avait quittée : « Je sais qu’il était mon âme soeur, il le savait aussi mais il a eu peur. Notre amour était trop fort, trop exclusif. Cette rencontre a dévasté ma vie, je ne sais plus comment continuer, comment aimer. »
La psychothérapie qu’elle avait entreprise n’avait rien changé à ses convictions. Il m’apparut que pour l’aider et avancer moi-même, il me fallait aller au-delà du constat de sa peine.

Je me posai alors plusieurs questions. Pourquoi certaines âmes sœurs parvenaient-elles à s’unir sur cette terre et d’autres non ? Y avait-il un sens à ces quêtes, ces fusions, ces drames, et si oui lequel ? Ce fut un reportage sur Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud qui me mit sur la voie. Ce couple d’acteurs mythiques avait libéré un potentiel créatif exceptionnel de par leur union. Mais il y en avait tant d’autres, des artistes comme Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle, des chercheurs comme Pierre et Marie Curie… La friction de ces âmes avait changé le monde. À bien y réfléchir, il m’apparut que les couples que j’avais croisés modifiaient également leur environnement à leur manière, par leur rayonnement. Ces deux amies ne s’étaient-elles pas engagées dans une association humanitaire ? Ces amants septuagénaires n’avaient-ils pas créé un cours de danse de salon pour seniors ?
Et moi-même, cette incroyable rencontre n’avait-elle pas modifié ma trajectoire, m’amenant à plus de spiritualité, de créativité, à parler de l’amour différemment ? Une véritable métamorphose… Peut-être le but de la réunion des âmes soeurs est-il celui-là : générer une énergie particulièrement forte qui se transmet aux autres et qui les modifie à leur tour. Notre bien-être terrestre semble secondaire dans ce schéma-là. Et puis, il doit bien exister un « ailleurs » où ces âmes s’unissent à nouveau, la séparation n’étant que terrestre. J’entrepris de contacter Marie, et quelques autres témoins télévisuels qui étaient alors dans une grande souffrance pour leur faire part de ces réflexions.
Je crois que nos échanges furent libérateurs pour nombre d’entre eux. Loin des théories de la psychopathologie, au-delà de la peine, ils avaient tous un potentiel à explorer et à transmettre. Marie va bien aujourd’hui, elle est amoureuse, et elle n’est plus comptable mais sophrologue. Quant à moi, je continue à travailler, à aimer, à grandir, mais différemment, et j’ai écrit cet article. J’espère qu’il pourra aider ceux qui s’y reconnaîtront.

 

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